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Impact du conte sur l’identité des enfants afrodescendants

Bonjour,

Aujourd’hui, j’aimerais vous emmener avec moi dans un univers qui me passionne, celui du conte. Je suis partie d’une question qui me trottait dans la tête. Le conte a-t-il un rôle dans la construction de l’identité ? Il me semble évident que ces histoires que je connais depuis mon enfance ont participé à forger la personne que je suis aujourd’hui.

Mais est-ce seulement moi ou d’autres enfants ont-ils également vécu la même expérience, de manière consciente ou inconsciente ?

Je me suis alors plongée dans quelques articles et ce qui en est ressorti est très édifiant. Il apparaît que le conte, qu’il soit du merveilleux, initiatique, satirique ou onirique, fait partie intégrante de nos vies et de celles de nos enfants et que son rôle est loin d’être uniquement distractif. En effet, il participe grandement à la construction de soi. Je vais mettre en évidence l’impact que peut avoir le conte dans la construction des humains en devenir et je ferai un focus particulier sur la construction de l’identité des enfants afrodescendants dans un monde où on leur envoie une image non-positive des personnes qui leur ressemblent.

La Fille au papillon rouge, de Katenda Bukumbabu et illustré par Nguala Masamba

Identité et conte

Commençons par rappeler ce que signifie l’identité, et ce qu’est un conte.

L’identité apparaît comme un marqueur de l’unicité qui fait que chaque individu est différent des autres, mais aussi comme ce qui rassemble des identiques, des éléments qui se ressemblent et forment alors un collectif. Elle peut donc être individuelle mais peut également être collective, culturelle quand elle signifie un ensemble de représentations et de pratiques considérées comme caractéristiques d’un groupe particulier : des connaissances générales, des productions artistiques, des traditions historiques ou des productions telles que le type d’habitat, l’habillement, les habitudes et les goûts culinaires, les comportements sociaux… L’identité de l’individu est à la croisée de plusieurs cultures, et son identité personnelle est le produit d’identités culturelles multiples, mais dont aucune ne le détermine absolument.

Par exemple, étant d’origine congolaise et ayant grandi en Belgique, il n’est pas réaliste de me demander de choisir entre les frites et le foufou car il s’agit d’un choix cornélien entre deux cultures culinaires qui me définissent de manière complémentaire.

Pour mieux comprendre la suite de cet article, j’ai choisi de vous partager la définition du conte de Léopold Sédar Senghor. Il nous présente le conte comme étant :

Un récit dont les héros sont des génies et des hommes, et qui est sans portée morale. Il nous introduit dans le monde surréel du merveilleux, où l’âme vit d’émotions essentielles.

Je compléterais que certes, le conte ne dégage pas explicitement la morale qu’elle véhicule, mais elle la laisse transparaître dans la trame du récit. Il a une fonction initiatique qui vise à faire évoluer l’auditeur ou le lecteur. Dans le conte, l’imaginaire est omniprésent.

Georges et la petite fée kréyol, de Lindsay Catalan illustré par Monica Bauleo

Le rôle du conte

Maintenant que nous savons ce qu’est un conte, on peut se poser la question de son rôle. En a-t-il un ? Les psychologues et thérapeutes des familles Marc Barrato De Pinto et Haydée Popper-Gurassa nous apprennent que la construction de soi serait liée à la narrativité et que cette construction narrative commence dès la naissance. Non seulement, le bébé entend son histoire dans les bras des premières personnes qui prennent soin de lui avant même de savoir parler, mais en plus il est baigné dans des interactions qu’il est invité graduellement à décoder et à comprendre.

Ils mettent en exergue que l’enfant évolue dans un monde où il est vulnérable. Il est donc en proie à des craintes et à des dangers qui le dépassent. L’enfant aime se faire peur par le conte car il sait que ce dernier lui offre une crainte maîtrisée. Il apprécie les histoires angoissantes et les sensations que cela procure car il peut les contrôler. En se plongeant dans l’histoire, il projette ses fantasmes sur les personnages effrayants comme les sorcières ou les monstres qui traduisent alors ses inquiétudes : peur de l’abandon, de la rivalité fraternelle… Dans la plupart des contes, les épreuves sont résolues et le héros connaît une fin heureuse. Cela est rassurant pour l’enfant qui voit alors qu’il n’est pas impossible d’affronter ses peurs. L’angoisse de départ se transforme en plaisir d’avoir vaincu la peur. Les contes abordent des thèmes de la vie de manière symbolique, afin de faire réfléchir l’enfant. Il décrypte alors ce langage ce qui lui permet une appropriation personnelle et lui apporte des issues métaphoriques à ses angoisses.

Où es-tu Papi ? de Audrey De Matos illustré par Julie Jaumotte

Identité culturelle et société

Penchons-nous un peu plus sur l’enfant afrodescendant, qu’est-ce qui fait sa spécificité par rapport à d’autres enfants ? Un enfant afrodescendant évolue dans un monde qui a connu l’esclavage et tous les stigmates qui y sont associés. Les personnes noires sont assimilées à des conceptions telles que tiers-monde, quart-monde, pays en développement, immigration, métiers pénibles… Cette couleur de peau est alors liée à un statut social inférieur qui est associé au dénigrement, au rejet ou à la pitié.

Dans un article qui traite de la construction identitaire de l’enfant migrant Dalila Belgacem explique que dans les sociétés occidentales, les stéréotypes racistes sont assez présents pour que les jeunes issus de l’immigration puissent les rencontrer à l’école et dans la rue. L’âge où l’enfant reconnaît sa différence est donc identifié entre cinq et sept ans. Elle met en évidence le fait que les Maghrébins venant des classes défavorisées sont particulièrement affectés par les représentations stéréotypées courantes et se montrent disposés à dévaloriser leur propre image. Ils prennent pour eux l’identité du paresseux et de l’incompétent, ce qui correspond aux « étiquettes » racistes. Des stéréotypes similaires existent également pour les afrodescendants.

Ces enfants évoluent donc dans un univers où leur apparence et leur nom sont reliés à un sentiment négatif et de mal être, d’impuissance, l’impression d’être mal considéré par les autres, d’avoir des mauvaises appréciations de ses activités et de soi. Ces perceptions négatives produisent des messages sur les caractéristiques personnelles, sur les capacités et les possibilités de celui qui les reçoit. De plus, ces messages négatifs peuvent susciter l’angoisse et l’anticipation de l’échec.

Or, l’enfant a besoin d’être sécurisé, compris et mis en confiance pour pouvoir se développer pleinement dans une identité culturelle positive.

La Biblioviolette, de Hambre Ellie illustré par Monica Bauleo

Le besoin de s’identifier pour se construire

Le conte se veut rassurant pour l’enfant. En effet, il lui permet d’affronter la réalité de sa vie en s’identifiant aux personnages des contes de fées qui peuvent ressentir les mêmes émotions que l’enfant lui-même. L’enfant se retrouve dans le héros, il partage ses expériences et cela lui permet de construire sa personnalité. Pour l’enfant, l’identification consiste à entrer lui-même dans l’histoire en devenant le personnage principal. À travers le héros, le jeune enfant peut vaincre ses peurs et évolue ainsi vers une certaine maturité. Le parcours du héros aide également l’enfant à prendre confiance. De plus, le héros reçoit de nombreuses aides pour réussir les expériences qu’il traverse, de nombreuses personnes placent leur confiance en lui. Même des personnages aux situations presque désespérées en début d’histoire connaissent le bonheur et une vie plus sereine à la fin. En plus de donner confiance, le conte se fait même porteur d’un message d’espoir en signifiant que toute situation peut finir par s’arranger.

Mais voilà, ça c’est en théorie, car dans un monde où l’image a une place de plus en plus prépondérante, les enfants noirs ne peuvent s’identifier à des héros majoritairement blancs et de plus, il existe un imaginaire lié à une identité culturelle négative des personnes noires.

Nous pouvons postuler que les enfants afrodescendants ayant intégré que les personnes partageant la même identité culturelle qu’eux, sont perçues de manière négative aux yeux du monde auront plus de difficulté à se construire de manière positive par rapport à des enfants non- racisés

Impact du conte sur la construction de l’identité des enfants afrodescendants

Nous avons mis en exergue l’impact du conte dans la construction de l’identité et le nécessaire besoin de s’identifier pour permettre aux enfants de vaincre leurs peurs. Le conte (conte, livre, film…) est surtout blanc mais aussi viriliste et cisgenre, cela ne permet pas à tous les enfants de concrétiser ce processus qui leur permet de vaincre leurs angoisses de manière métaphorique et de se construire dans une identité culturelle positive.

Certains citeront les noms de personnalités qui se sont démarquées, d’autres me diront que les choses sont en train de changer et à ces deux réactions je ne peux que répondre de manière positive. Néanmoins, l’invitation ici n’est pas de penser en terme d’individu mais en terme de groupe et de constater que le groupe des enfants afrodescendants éprouve encore de grandes difficultés à trouver sa place dans la société et à se construire de manière positive.

L'aventure AYỌ éditions

Aujourd’hui, le défi que nous avons est de permettre à tous les enfants de lier la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes à une identité culturelle positive et valorisante. Sur ce point, il apparaît qu’offrir une narrativité renouvelée et diversifiée est une arme indéniable.

C’est pourquoi avec AYỌ éditions, j’ai voulu apporter ma pierre à l’édifice. Il me semblait évident que le manque de représentations justes et positives des enfants afrodescendants dans la littérature jeunesse avait non seulement eu un impact sur ma génération mais continuait également à en avoir un sur les suivantes.

Au-delà de notre catalogue, voici une sélection non exhaustive d’autres ouvrages à découvrir et à offrir. Pour que nos identités plurielles soient célébrées.

Youma face à sa peur aux Éditions Shiyo

Les aventures de Tichérie aux Éditions Visibles

Petite Pom et sa couronne aux Éditions Touana

C’est parce que je t’aime aux Éditions Bethstory

Le conte Ödya la téméraire par la maison Lonnii

Opération nettoyage ! et Le Roi de la Maternelle aux Éditions Anacaona

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